Depuis quelques années on a vu poindre de toute part, sans réagir, en France, mais aussi partout en Europe les étendards funestes contre l’Europe et ce qui lui tient de politique, il est vrai peu consistante et dont l’absence de résultats tant économiques que sociaux la rend impropre à s’opposer aux souverainistes de tous bords.
L’énergie vitale lui manque depuis longtemps, et avec elle ceux qui pourraient l’incarner et la stimuler. A tel point qu’outre-Manche, il y a quelques jours d’aucun l’ont crue, moribonde et impropre à continuer de leur apporter, si ce n’est la croissance nécessaire, du moins le sentiment de l’entre-soi, si nouveau et semble-t-il, devenu si important chez la plupart des européens; il y a  concernant ce sujet de quoi se poser des questions sur l’absence totale de pédagogie et d’inventivité dont pâtissent l’ensemble des nations en ces temps si difficiles, lorsque l’on songe à l’Europe humaniste comme au berceau de civilisations considérées parmi les plus évoluées au monde.

Dans quelle ère d’obscurantisme et d’inculture crasse sommes-nous en effet parvenus pour nous voir imposer par quelques démagogues en mal d’électorat, une vision de l’Europe populiste, aussi réduite et aussi étriquée ? Pour oublier l’Europe des arts majeurs et des philosophes nés en Grèce et à Rome,  celle de Dante, de Villon et de Leonard de Vinci, des baladins et des troubadours de tous pays qui traversaient au  Moyen-Age la grande Europe pour séduire et divertir de nouveaux publics, mais aussi celle des marchands et des banquiers allemands, italiens, ou hollandais, qui la parcouraient du Nord au Sud et d’Est en Ouest à la conquête de nouveau marchés et de nouvelles techniques, des artistes, des poètes de la Renaissance et du Quattrocento, de la poésie et de la musique des XVIII et XIX ème siècles en France, en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Angleterre, en Espagne et ailleurs; enfin l’Europe des idées, celle du siècle des Lumières, qui de la France à la Russie a secoué le joug des tyrans et a suscité les premiers stupeurs et tremblements monarchiques, mais aussi celle de grands flux migratoires qui de l’Antiquité à nos jours ont alimenté les bassins industriels, ont fait les grands scientifiques, sculpté le profil, et l’identité des peuples européens, malgré toutes les invasions et les guerres, y compris celles de religion, malgré les famines, les disettes et les crises. Cela aurait-il si peu compté que toute empathie entre nos peuples ait disparu au point de considérer que ce qui nous sépare est devenu plus important que ce qui nous réunit ? C’est sans doute l’absence de cette dimension émotionnelle culturelle immémoriale qui constitue la négligence profonde et si difficilement réversible de ceux qui étaient et sont toujours en responsabilité depuis ces vingt dernières années à la tête de l’Union européenne mais celle aussi des Etats qui la composent, qui ont  permis par cette faute si grave, de promouvoir exclusivement l’économique et le monétaire au détriment du politique, et de voir éclore ainsi cette génération de politiciens peu éduqués et au cœur sec, qui ont bradé les valeurs universelles européennes contre une politique technocratique et bon marché, qui, ne nous leurrons pas, restera sans effet contre le mondialisme.

Aussi, au-delà de l’ensemble de ces contingences, la nouvelle du départ du Royaume Uni est-elle mauvaise car l’Europe perd encore davantage en influence diplomatique et en capacité militaire. Toutefois, « game is not over », il s’en faudrait de beaucoup.
D’une part, si l’on considère le facteur temps, car la décision politique des Anglais n’équivaut pas à sa transposition juridique, d’autre part car la patronne de l’Europe n’a pas intérêt à en accélérer le processus, se trouvant affaiblie elle-même de fait.

Néanmoins, et au-delà de cette scission dont on reparlera sans doute, les compromis ou nouveaux traités ne verront certes pas le jour avant longtemps en raison de l’étendue, de la profondeur des questionnements et de leurs options qui  couvrent un spectre complexe allant du monétaire à l’économique en passant par l’Europe sociale, l’éducation, etc…mais aussi et surtout, et c’est la question fondamentale qui a été omise, car ces apprentis sorciers ont tout bonnement oublié cette dimension émotionnelle et le lien sociétal qui en est issu, qu’ils auraient dù cultiver pour le faire perdurer entre ces 28 nations dès lors que la paix entre eux semblait enfin un fait acquis.

Alors quel sera le nouveau moteur susceptible de faire repartir la machine Europe ? La performance économique, l’ouverture aux idées, ce fameux humanisme européen censé servir d’exemple et de référent au reste du Monde, tellement mis à mal depuis ces derniers mois notamment avec la gestion calamiteuse des migrants ?

Pour ma part, je dis que c’est la jeunesse européenne qui en sera la clé.

Cette jeunesse que l’on vient de sacrifier au Royaume Uni pour complaire à des politiques, qui non contents de ne pas faire le job, ont exacerbé les craintes des plus faibles,  sans souhaiter leur ouvrir l’esprit aux idées car  celles-ci  auraient été trop dangereuses et les émanciperaient de toute influence populiste. Cette jeunesse dont Erasmus est l’expérience européenne qu’ils tiennent pour la plus formatrice et la plus structurante, mais aussi la plus rassembleuse. Cette jeunesse, qui pour peu qu’on lui en donne les moyens et les conditions pour  pouvoir étudier et vivre décemment d’un métier en Europe, dressera un réquisitoire sans appel lorsque le temps sera venu contre ceux-là mêmes qui par opportunisme et vanité l’auront tenue en échec aujourd’hui.